Logo
Pour une biologie intégrative
Site de Gilbert Chauvet
Médicaments
 

 Page d'accueil  English    Plan du site    Ecrire    Liens utiles    Glossaire des définitions   Éditeur
  QUI SUIS-JE ?
 CV
 Activités scientifiques (résumé)
  BASES THÉORIQUES

Organisation fonctionnelle et champ à n niveaux
- Théorie
- Formalisme

  APPLICATIONS

Intégration des fonctions physiologiques
- Cervelet
(mémoire du mouvement)
- Hippocampe
(mémoire cognitve)
- Organisation des systèmes
biologiques
- Évolution
- Développement
- Vieillissement
- Conscience

Pathologie
- Système respiratoire,
cardio-vasculaire et rénal
- Réanimation

Industrie
- Médicament

  PUBLICATIONS
 Livres
 Articles
 Journal of Integrative Neuroscience
  VU DANS LA PRESSE
 Articles
 
Articles presse
   Retour Rubrique livre Page précédente
 

logo Automates IntelligentsBiblionet : Gilbert Chauvet
La vie dans la matière
Le rôle de l'espace en biologie

Champs Flammarion 1998
Notes par Jean-Paul Baquiast  - 22/07/01

Cette fiche de lecture s'imposait suite à l'entretien avec Gilbert Chauvet sur France Culture, dont nous publions un condensé détaillé dans le même numéro. Les personnes voulant approfondir les travaux de ce scientifique peuvent en effet, outre la lecture de ses publications dans les revues spécialisées, lire son fondamental "Traité de physiologie théorique" en 3 tomes, publié chez Masson (dont il existe une version mise à jour en anglais chez Pergamon Press), mais surtout un ouvrage beaucoup plus abordable, "La Vie dans la Matière". Observons d'emblée que ce dernier, présenté par l'auteur comme un petit livre, comprend 280 pages très denses, qui ne peuvent s'absorber en un jour, tout au moins lorsque l'on n'est pas familier de ces questions.

"La Vie dans la Matière" date de 1998. Les connaissances évoluant vite dans de tels domaines, la lecture du livre doit nécessairement être complétée des propos de l'auteur relatés dans l'entretien que nous publions. Par contre, le retour au livre s'impose pour mieux comprendre des points de vue qui, dans l'entretien, pourront paraître un peu elliptiques.

Pour notre part, nous n'allons pas reprendre les éclairages apportés par l'entretien au livre, mais proposer quelques commentaires de profane en nous mettant à la place de lecteurs généralistes.

Le rôle de l'espace en biologie

Le livre aborde la question traditionnelle consistant à distinguer l'ordre du biologique de celui de la matière physique. Un organisme biologique superpose aux processus physiques des processus d'une très grande complexité, aboutissant à ces résultats paradoxaux soulignés depuis longtemps, le maintien de la stabilité ou homéostasie chez les organismes, l'accroissement de la diversité des solutions chez les espèces, des performances adaptatives constamment renouvelées pour faire face aux changements environnementaux.

La première question que l'on peut se poser en ouvrant l'ouvrage est cependant de savoir quel en est exactement le sujet. En quoi, sous un titre relativement banal, se distingue-t-il par son originalité. Selon nous, il s'agit d'entreprendre une œuvre immense, encore pratiquement sans précédents de cette ambition : proposer un modèle mathématique de l'organisme vivant, considéré comme un ensemble de fonctions physiologiques intégrées (ayant trait au fonctionnement de l'organisme). Les fonctions, correspondant aux organes et à leurs sous-ensembles jusqu'au niveau des constituants primaires de la cellule, sont en nombre considérable, que ce soit chez un organisme relativement simple, comme le ver ou l'amibe, ou dans un organisme complexe comme l'homme. L'objectif du scientifique sera donc de trouver un ou des principes d'organisation communs, permettant de décrire de façon identique la grande variété des solutions existant dans la nature.

Pourquoi faire ce travail ? Pour répondre précisément à la question fondamentale : en quoi le biologique se distingue-t-il du physique ? En quoi un organisme vivant travaille-t-il de façon différente d'une machine ? Comment peut-il se stabiliser en auto-associant des fonctions, ce qui chez une machine augmente au contraire les risques d'instabilité, l'architecture la plus simple, en mécanique, étant en général la meilleure. On conçoit bien que, sur le plan philosophique comme pour tout ce qui concerne les interventions, médicales ou autres, portant sur le vivant, disposer d'un outil de modélisation commun permettant de schématiser l'ensemble des fonctions du vivant, c'est-à-dire finalement le rôle de chacune des structures composant celui-ci, constitue le premier pas indispensable à toute approche scientifique. Mais la difficulté apparaît quand il s'agit de passer d'une description littéraire des phénomènes (la complexité, l'auto-organisation, l'équilibre loin de l'équilibre…), à des formulations mathématiques. Celles-ci ont, de tous temps, été considérées comme trop réductrices pour s'appliquer à la vie - faute à tout le moins qu'existent des méthodes mathématiques encore à découvrir offrant un pouvoir descriptif suffisant sans être abusivement simplificateur.

La double formation, mathématique et biologique de l'auteur (dont on ne saurait trop admirer l'étendue du cursus et des connaissances) lui permet de s'attaquer à ce défi. Il utilise un double formalisme, la théorie des graphes et celle des champs, couramment pratiquées en physique, mais dont, nous semble-t-il, il est le précurseur en biologie (tout au moins dans l'université française). Le lecteur non-mathématicien n'aura pas besoin d'entrer dans le détail des formules de la dynamique pour comprendre la démarche de Gilbert Chauvet. Un système vivant, que ce soit un système relativement simple comme celui constitué par deux neurones interagissant, ou un organisme complet, est généralement analysé sur le plan de la structure, telle qu'elle apparaît sous le microscope ou le scalpel. Or, cette analyse n'est pas mathématisable. Elle relève de la description littéraire, à laquelle excellent les anatomistes. Si on considère par contre que si les organes se sont associés, au cours de l'évolution, pour constituer un organisme, c'est parce qu'ils avaient quelque chose à échanger, et si on représente mathématiquement les modalités de cet échange, un début de langage commun devient possible.

Le cœur de la présentation proposée par Gilbert Chauvet est qu'il faut admettre que les échanges entre organes (contrairement encore une fois à ce qui se passe entre les rouages d'une machine) ne sont pas locaux et ne sont pas réversibles. Ils ne sont pas locaux en ce sens que l'interaction se fait à distance, par l'intermédiaire de la diffusion d'un produit actif émis par une source (par exemple une glande endocrine) à destination d'une ou plusieurs cibles situées ailleurs dans l'organisme (par exemple d'autres glandes, des nerfs, des muscles, etc. ). Ils ne sont pas réversibles, en ce sens que le produit émis ne revient jamais à son point de départ, mais déclenche toute une série d'actions et de réactions (de type incitation-inhibition) qui façonnent l'histoire de l'organisme dans son environnement. De plus, ces actions et réactions, tout au moins dans l'organisme sain, ne déterminent pas un comportement global instable ou erratique (que l'auteur appelle du nom curieux d' "orgatropie" ou tendance à explorer tout le champ des possibilités d'organisation). Au contraire, elles maintiennent un état stable de "néguorgatropie" ou homéostasie.

Sur le plan mathématique, la théorie des graphes permet de représenter l'action exercée (à distance, répétons le, et de façon irréversible) d'un organe sur l'autre. L'accumulation des observations physiologiques de détail, déjà réalisée ou à réaliser, donnera un véritable buisson de graphes qui, aussi compliqué qu'il puisse paraître, sera plus utilisable pour étudier les actions et réactions, activations-inhibitions, ou simuler l'effet de telle modification, que des descriptions purement littéraires.

Plus surprenante pour la profane est l'utilisation de la théorie des champs. On est habitué à voir mentionner celle-ci en physique, pour décrire les interactions matière-énergie, où une formalisation rigoureuse paraît possible, sous réserve des contraintes de la mécanique quantique, ou de celles de la relativité générale en ce qui concerne la gravité. Mais il n'y a que des avantages, en effet, à la transposer dans le domaine de la biologie, pour représenter la diffusion d'un médiateur quelconque, par exemple un neurotransmetteur ou une hormone, d'une source émettrice vers un organe utilisateur (que l'on appellera alors un puits). La portée de l'action, la variation de densité du produit, la vitesse de diffusion et autres caractéristiques du champ biochimique ainsi crée peuvent effectivement être symbolisées par les équations de la dynamique de ce que Gilbert Chauvet appelle le système biologique formel. Il s'agit évidemment de champs multiples où la formalisation mathématique permettra d'introduire un peu d'ordre afin de faire apparaître certains effets globaux, notamment en matière de maintien ou perte de l'homéostasie, d'intervention réparatrice, etc.

Ajoutons que la non-localité des échanges au sein du système vivant oblige à définir non seulement une géométrie mais aussi une topologie (changement de continuité dans le passage d'une structure à l'autre, qui ne s'impose pas en physique) des sites biologiques actifs et réactifs, autour d'une hiérarchie fonctionnelle d'ensemble. Ceci explique en partie le sous-titre du livre : "le rôle de l'espace en biologie".

Il est évident que ces quelques phrases n'épuisent pas la richesse du livre, concernant les nombreuses conséquences pouvant être déduites de telles approches, et permettant de comprendre les divers aspects des phénomènes vitaux : embryogenèse, physiologie de l'organisme adulte, vieillissement mais aussi évolution d'une espèce à une autre. L'auteur ne cache pas cependant que son travail n'en est qu'à ses débuts. Il faudrait intégrer les multiples études existants dans des domaines différents, en mener d'innombrables autres portant sur l'ensemble du monde du vivant, pour obtenir des modèles mathématiques significatifs du phénomène biologique, afin de mieux situer son apparition dans le monde physique, et ses perspectives d'évolution. Sans doute alors d'ailleurs, outre le manque de spécialistes, la puissance et la pertinence des outils mathématiques actuellement disponibles, même avec l'aide des ordinateurs, ne permettraient-ils pas de rendre compte de la diversité des interactions. On se trouve donc en face d'un programme scientifique quasi-illimité, que l'auteur souhaiterait voir traiter avec les mêmes moyens que la génomique. En effet, les applications multiples potentielles, notamment dans le domaine de la santé, lui paraissent en justifier le financement.

Pour la suite, on se reportera aux propos de Gilbert Chauvet sur France Culture, relatés dans le résumé que nous en donnons, pour mieux comprendre les mises à jour de l'ouvrage qu'il ferait aujourd'hui, en cas de réédition.

Applications possibles

Ajoutons pour notre part quelques commentaires personnels, au regard des perspectives pouvant plus particulièrement intéresser nos lecteurs, qui ne sont pas tous des biologistes, même quand ils s'intéressent à la vie artificielle.

- Un premier point nous paraît susceptible de mériter examen : comment les outils méthodologiques présentés ici pour décrire l'intégration physiologique au sein d'un organisme vivant individuel pourraient-ils être réutilisés pour décrire un organisme social ? On conçoit aisément que celui-ci, même dans le cas où il ressemble beaucoup à un organisme individuel (une ruche par exemple) et à plus forte raison quand il s'agit d'une société, animale ou humaine, plus ou moins touffue, présente une complexité ou en tous cas une variabilité plus grande encore que celle d'un organisme. Les fonctions sont moins individualisées ou plus diffuses, les médiateurs (que l'on pense aux contenus comportementaux ou langagiers) sont multiples, les effets de champs sont bien plus difficilement observables, les topologies varient sans doute beaucoup plus souvent selon des changements environnementaux incessants. Néanmoins, si l'on s'attache à la persistance de la structure sociale, de type homéostasique, qui est une caractéristique souvent ignorée des individus constituant cette structure, on devrait pouvoir retrouver les opérateurs vectoriels et de champs utilisés pour décrire l'organisme individuel. Ceci est d'ailleurs la cas dans certaines études s'efforçant à donner une forme mathématique à divers phénomènes sociaux relativement standards, dans le domaine de l'économie par exemple. Mais on est loin de l'approche véritablement scientifique, généralisée, qui s'imposerait pour mieux comprendre les phénomènes relevant des sciences humaines et sociales dans leur ensemble. Les représentants de ces dernières crieraient évidemment au réductionnisme, mais si des outils mathématiques (encore à créer pour la plupart) permettent de décrire la vie (par exemple le fonctionnement du cerveau) sans réductionnisme, ils pourraient tout aussi bien le faire en matière politique et sociale.

- Une deuxième question, d'un tout autre ordre, concerne la possibilité d'utiliser les algorithmes que les physiologistes intégrateurs comme Gilbert Chauvet appliquent au vivant, afin de réaliser des automates simulant le plus exactement possible les solutions biologiques. Comme on l'a vu à propos des projets de vie ou de conscience artificielles, la méthode généralement envisagée, pour des raisons de facilité, consistera à mettre en concurrence darwinienne des systèmes ou réseaux massivement multi-agents, dont les agents relationnels (aspectuels pour reprendre le terme de Alain Cardon) ou les agents morphologiques prendront en compte les modifications de l'environnement avec pour résultat d'y adapter le système d'une façon optimale.

Cette question rejoint un point que Gilbert Chauvet a peu abordé…mais il ne pouvait pas tout faire à la fois…celui des processus évolutionnaires darwiniens ayant, depuis les premières molécules réplicatives, conduit à une évolution buissonnante, reposant sur le cycle hasard-nécessité, et ayant permis les auto-associations génératrices de stabilité caractéristiques des organismes actuels. On sait que l'ouvrage très remarqué de Kupiec et Sonigo réserve une part immense à la compétition darwinienne  et à l'"égoïsme" pour l'accès aux ressources, tant dans l'évolution des espèces, via les génomes, que dans de nombreux autres domaines infra-génomiques, comme la localisation spécifique des cellules et la mise en place des fonctions au cours de l'embryogenèse (concept d'onto-phylogenèse). Il nous semble que les deux approches sont complémentaires. Ce que l'onto-phylogenèse produit doit pouvoir avantageusement être décrit dans les formalismes vectoriels et de champs proposés par Gilbert Chauvet.

Si ceci était exact, il serait (relativement) facile de réaliser des organismes artificiels complexes, non pas en copiant graphe par graphe et champ par champ ce que fait la nature, mais en utilisant les méthodes de la programmation évolutionnaire, à partir d'espaces d'évolution simulant grossièrement les performances que l'on attendra de générations successives d'automates soumises à telles ou telles contraintes.

 Voir aussi Entretien : Gilbert Chauvet (Emission "Continents sciences", France Culture, 28 juin 2001)

 Page précédente