Interview
: Gilbert Chauvet,
physiologiste intégrateur
propos recueillis le 16 janvier 2002
par Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin
Gilbert Chauvet
est responsable du module "Réseaux Neuronaux
- Modélisation des fonctions physiologiques"
du DEA d'Informatique BioMédicale de RENNES
I, PARIS V et PARIS VI.
Il dirige le Service de Biostatistiques et modélisation
informatique au CHU d'Angers.
Né en 1942, il a terminé des études
en Mathématiques Pures et Mathématiques
Appliquées (Poitiers, 1965) avant d'obtenir
en physique un Doctorat de 3ème cycle en Physique
du solide (Nantes, 1968) et un Doctorat ès-Sciences
en physique moléculaire théorique (Nantes,
1974), puis un Doctorat en médecine (Angers,
1976). De 1968 à 72, il a été
maître-assistant de Mathématiques (Nantes),
de 1972 à 76 Chef de travaux-Assistant de biomathématiques
à l'université d'Angers.
Nommé Professeur de Biostatistiques-Informatique
médicale à l'université d'Angers
en 1976, il se spécialise dans la modélisation
des fonctions physiologiques, d'abord sur le système
respiratoire, puis sur le système nerveux.
Il recherche ensuite une théorie générale
de l'organisation fonctionnelle. Ces travaux se concrétisent
par un traité de physiologie théorique
en trois tomes paru en 1987 et 1990 chez Masson, actuellement
édité en langue anglaise par Pergamon
Press (Elsevier) : "Theoretical systems in Biology",
version mise à jour et largement étendue.
Il a été nommé Research Professor
de neurosciences du comportement à l'Université
de Pittsburgh en 1990, puis en biomédical engineering
(University of Southern California) à Los Angeles
en 1992.
Ses recherches actuelles portent sur la conception
d'une théorie du champ dans les systèmes
biologiques, et sur la représentation topologique
de ces systèmes. Les applications portent sur
le cervelet, l'hippocampe et les grandes fonctions
physiologiques.
Pour en savoir plus
- le DEA d'Informatique BioMédicale de RENNES
I, PARIS V et PARIS VI http://www.med.univ-rennes1.fr/plaq/dea/modules.html#Module_1
- CHU d'Angers Service Biostatistiques et modélisation
informatique http://www.ibt.univ-angers.fr/sbmi/
- USC neuroscience graduate program, computational
neuroscience and neural engineering http://www.usc.edu/dept/nbio/ngp/
- Ouvrage de Gilbert Chauvet
: La vie dans la matière, Flammarion, 1998
(voir
notre fiche de lecture)
- Theoritical systems in Biology, Pergamon Press (Elsevier,
1996)
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AI
: Dans votre livre "La vie
dans la matière", que nous avons chroniqué(1)
vous dites finalement qu'il faut inventer les mathématiques
du vivant ?
Gilbert
Chauvet : Effectivement. Le problème aujourd'hui,
c'est que les gens vont vers la facilité. Comme c'est
plus facile de faire de l'informatique classique, c'est-à-dire
des algorithmiques finalement non analytiques, eh bien l'on
fait cela plutôt que des mathématiques. Ce
qui conduit au développement des algorithmes évolutionnaires
et de toutes sortes de choses -qui donneront certainement
dès résultats, je ne dis pas que ce n'est
pas bon- mais qui ne donnent pas les propriétés
fondamentales lorsque l'on croit en l'intelligibilité
mathématiques de la nature. On peut croire, ou ne
pas croire. En tous cas, moi je crois à cette intelligibilité.
Beaucoup des difficultés actuelles viennent
de là mais heureusement, il existe quand même
un certains nombre de neurobiologistes qui pensent que les
mathématiques sont plus importantes que ce qu'on
appelle le pur "computing", l'approche computation. Nous
avons d'ailleurs créé un journal. Beaucoup
de gens pensent maintenant qu'il s'agit d'une approche qui
pourrait s'avérer nécessaire.
AI
: On ne fait pas des mathématiques juste comme cela,
sans projet de développement...
Gilbert
Chauvet : Mon objectif est de comprendre les
fonctions physiologiques et l'intégration de ces
fonctions. Et faire de l'intégration sans mathématiques,
je voudrais que l'on m'explique. Je ne vois pas du tout
comment on peut faire sans s'en passer. Parler de physiologie
intégrative et ne s'appuyer uniquement que sur le
côté expérimental, je n'y vois là
rien de plus que ce que faisait Claude Bernard lorsqu'il
étudiait un organe. Pour nous, la physiologie intégrative
va beaucoup plus loin que cela : il s'agit de recomposer
un phénomène macroscopique à partir
des niveaux microscopiques. C'est donc finalement la
reconstruction du vivant. Et cela ne va pas sans poser des
problèmes multiples...
AI
: Quand nous abordons avec d'autres personnes cette question
de la mathématique de la vie, de la mathématique
des organismes, on nous dit que ce n'est pas intégratif,
que les mathématiques ne permettent pas de donner
un modèle qui soit utilisable pour la prévision
dans les systèmes complexes et évolutifs,
chaotiques, parce qu'il y a l'incertitude sur les données
initiales, ce qui fait qu'un modèle, aussi précis
soit-il au départ, ne donnera jamais que des prévisions
éclatées... Qu'en pensez-vous?
Gilbert
Chauvet : Parler ici de "mathématique
de la vie" n'est pas un bon terme car, de mon point de vue,
c'est plus ici la formulation mathématique en elle-même
que la résolution mathématique qui est importante.
Pour ce qui concerne la vision quantitative, je dis souvent
qu'"en biologie, on n'est pas à 10-10
comme en physique... Mais si on arrive déjà
à trouver correctement le comportement d'un phénomène,
c'est déjà pas mal".
En physique, le problème est de trouver des constantes
à 10-10 près. En biologie, l'objectif
réside essentiellement dans l'intégration
des connaissances...
Bien sûr, on peut toujours dire que c'est très
bien de formaliser, de trouver un système d'équations.
Mais évidemment, il faut aller plus loin. Car la
résolution elle-même, de mon point de vue,
est un autre problème. Que font d'ailleurs actuellement
tous les algorithmes de computing, utilisés par exemple
en neurobiologie ? Eh bien, avec eux, il s'agit de partir
d'équations qui existent, de simuler ces équations
d'un point de vue purement informatique et d'étendre
les choses, toujours d'un point de vue purement informatique.
A la base, il y a donc un fondement mathématique.
Donc, quoi qu'il en soit, il faut toujours avoir une idée
mathématique de ce qui se passe... Alors on peut
pousser les idées mathématiquement plus loin,
comme on le fait en physique, afin d'en faire une théorie,
un formalisme spécifique qui permet de décrire
les phénomènes. C'est en tous cas ce que j'essaie
de faire.
AI
: Et en déduire peut-être des propriétés
mathématiques... Qu'en disent les physiciens ?
Gilbert
Chauvet : Devant mes systèmes, j'ai pu
entendre des formules à l'emporte pièce, du
genre : "on ne peut pas me faire croire que les trous
noirs c'est moins compliqué qu'un neurone. Faut pas
pousser du point de vue mathématique" ou encore
"simuler une explosion nucléaire sur un ordinateur,
vous croyez que ce n'est pas plus compliqué que le
fonctionnement d'un neurone ? Vous savez, maintenant,
j'ai l'habitude... C'est simplement parce que l'on ne met
pas assez de gens sur ces questions, qu'ils ne s'y intéressent
pas. Peut-être aussi parce que ce n'est pas assez
connu...
Il faut bien voir
comment sont organisées aujourd'hui les disciplines.
Qui pourrait s'intéresser à ce type de démarche
? Les physiciens ? En tant qu'ex physicien théoricien,
et du point de vue intellectuel, il n'y pour moi aucune
différence entre un phénomène purement
physique et un phénomène physiologique. Je
ne fais pas une analogie lorsque je dis cela. Il s'agit
simplement d'une attitude de pensée, d'une sorte
de réflexe, qu'il faut constamment avoir. Seulement,
demandez à un physicien de haut niveau -et il faut
être de haut niveau pour s'attaquer au problème-
de s'intéresser à ce genre de chose... Il
n'a pas intérêt. Car si il est déjà
arrivé à ce niveau-là, c'est parce
qu'il ne s'intéresse qu'à la physique. Vous
savez, moi, la physique, j'ai eu du mal à en partir.
Cela ne s'est pas fait tout seul...
AI
: Pourquoi ?
Gilbert
Chauvet : Je savais ce que je perdais. Partir
du cocon, c'était passer de 10-10 -comme
je vous l'expliquais tout à l'heure- à quelque
chose d'incertain. Et ce n'est pas évident d'agir
ainsi, lorsque l'on a la rigueur mathématique. Un
mathématicien va alors vous demander pourquoi les
mathématiques de la vie -comme vous dites- seraient
des objets exclusivement en génétique. Et
pourquoi les statistiques se sont-elles développées,
et pas la physiologie ? On peut effectivement se poser la
question, qui appelle une réponse triviale : c'est
parce que la physiologie n'est pas aussi simple que la génétique.
Prenez l'équilibre acido-basique, par exemple. C'est
extrêmement compliqué. Si vous n'êtes
pas spécialisé sur le sujet depuis une dizaine
d'années, il est impossible de bien comprendre ce
qui se passe. Cela nécessite de posséder une
solide formation, de solides connaissances expérimentales,
et d'avoir préalablement éliminé l'esprit
mathématique ou physique que l'on pouvait avoir sur
la question... Dans ce cas-là, vous n'allez trouver
personne...
AI
: Lors d'une interview sur France Culture, vous avez dit
que si nombre de disciplines abordaient en partie ces concepts,
personne n'en faisait la synthèse. Il n'y a
pas d'essai de rapprochement vers un contenu global ?
Gilbert
Chauvet : Je pense que cela n'intéresse
personne, ou si peu. Il faut être un peu illuminé
comme moi pour vouloir faire cela. En tous cas, ne pas avoir
de barrières intellectuelles, ce qui finalement signifie
ne pas faire partie d'un réseau. Quoique, finalement,
ce n'est pas tout à fait vrai, car grâce au
journal que nous lançons sur internet, dont je vous
parlais tout à l'heure, nous avons trouvé
un certain nombre de scientifiques que tout cela intéresse...
AI
: Quel journal ?
Gilbert Chauvet : Le "Journal of
Integrative Neuroscience" (JIN)(2),
dont je suis le chief editor. Il comprend aussi quatre
editor associés -de nationalité américaine,
anglaise, japonaise et bésilienne- et une équipe
éditoriale composée de 38 membres provenant
de 10 pays. JIN s'adresse autant aux théoriciens
qu'aux expérimentateurs intéressés
par l'avancement des neurosciences intégratives :
neurobiologistes des systèmes, biophysiciens, neuro-physiologistes,
neurologues, psychiatres, psychologues, spécialistes
des sciences cognitives, spécialistes de la bio et
de la neuro médecine, biomathématiciens, spécialistes
de la neuroanatomie quantitative et fonctionnelle... L'objectif
est de construire un forum dynamique, autour d'une synthèse
des sciences du cerveau, à travers l'intégration
fonctionnelle des phénomènes. Le champ considéré
est très large, allant des problèmes de la
cinétique moléculaire à la compréhension
de la conscience, aussi bien que le contrôle neural
d'autres fonctions physiologiques... Nous encourageons les
papiers originaux et de grande qualité qui combinent
la théorie et l'expérimentation, aussi bien
que les papiers théoriques qui décrivent les
nouveaux modèles qui favorisent la vérification
expérimentale.
AI
: Pourquoi ce journal n'aborde-t-il que l'aspect neurosciences
intégratives ?
Gilbert
Chauvet : Parce
que c'est ce qu'on me demande... Et puis, j'ai plutôt
plus appliqué mes travaux en neurosciences qu'ailleurs.
Pour compléter
ce que je vous disais précédemment sur le
cloisonnement, il est vrai que les mathématiciens
ont leur propre discipline. Donc pour qu'ils s'intéressent
à ce qui se passe ailleurs, il faut vraiment que
cela soit important, ou considéré comme important
par les autres disciplines. Pour moi, étudier la
stabilité d'un système hiérarchique,
c'est déjà mathématiquement un problème
difficile. Un problème solide. A ma connaissance,
aucun mathématicien ne s'y est intéressé.
Les problèmes de hiérarchie ne semblent pas
les passionner. On ne peut en dire de même du théorème
de Fermat...
AI
: A propos du cloisonnement, ce que vous dites rejoint ce
que nous disait Jean-Arcady Meyer, patron du LIP6, dans
une de nos précédentes interviews(3)
: les mathématiciens ne verront pas de gloire à
faire de la robotique sur un insecte. Idem pour les biologistes
ou les neurologues... A ce sujet, quels rapports entretenez-vous
avec la robotique ?
Gilbert Chauvet: Le
cervelet est un des domaines sur lesquels j'ai le plus travaillé,
parce qu'il est lié à la coordination des
mouvements. Ma discipline étant la médecine,
c'est tout naturellement que je me suis intéressé
au problème des handicaps, problème qui débouche
par ailleurs sur la robotique. Cela a été
extrêmement difficile. Et pourtant nous avons été
quand même à l'origine des réseaux de
neurones. Au départ, les gens ne séparaient
pas les choses : ils parlaient de réseaux de neurones,
qu'il s'agisse de désigner les réseaux réels
ou les réseaux de neurones artificiels. Maintenant,
on fait la distinction. Et pourtant, nous en sommes bien
à l'origine. Voici un exemple typique de séparation.
Pour les réseaux de neurones artificiels, il fallait
prendre des automates, ou des choses simples comme les verres
de spin, pour arriver à démontrer que c'était
vrai, il fallait n'utiliser que quelques théorèmes.
En tout cas, travail très limité et bien insuffisant
pour ceux qui se consacrent à l'étude des
réseaux de neurones biologiques. Il y a au moins
six niveaux d'organisation. Comment montrer les interactions
entre groupes de neurones en tenant compte des propriétés
des neurones, de l'émergence générale?
Mais, il ne s'agit pas, à mon avis, d'une opposition.
On voit bien qu'il y a deux secteurs complètement
différents. D'une part, celui des réseaux
de neurones artificiels, qui concerne les applications -il
faut que cela existe car cela peut être un excellent
moyen de démontrer des théorèmes. D'autre
part, celui des réseaux de neurones biologiques,
où l'on essaie de comprendre comment fonctionne l'organisme
avec ce réseau.
AI
: A priori, c'est une boîte noire incompréhensible.
Il vous faut donc des outils pour entrer progressivement
dans cette boîte. Soit les mathématiques, soit
l'image. Un homologue du système informatique en
réseau dans une certaine mesure...
Gilbert
Chauvet: Dans mon système, la partie topologique,
que j'appelle l'O-SBF(4),
ressemble un peu à l'internet. C'est un réseau
de liaisons avec, en chaque noeud, la possibilité
d'avoir d'autres liaisons. Mais si Internet est un système
qui peut, tout comme le mien, être hiérarchique,
il n'y a pas les lois de la biologie là-dedans. Tandis
que moi, pour le développement, j'introduis des caractéristiques
de la biologie, comme par exemple le taux de reproduction,
etc.
AI
: vous partez quand même de proche en proche, d'un
mécanisme que l'on peut identifier...
Gilbert
Chauvet: Oui, par des mécanismes décrits
mathématiquement pour recomposer des structures plus
importantes. Et c'est là qu'est le succès.
AI
: Et à un moment, vous tombez sur un blocage, et
vous êtes forcés de découvrir quelque
chose qui n'était pas apparent ? Le non visible,
le non apparent pour vous n'apparaît certainement
pas par miracle...
Gilbert
Chauvet: Non. C'est une propriété
mathématique de l'ensemble. Une propriété
émergente au niveau supérieur de l'organisation.
Mais on ne peut la trouver que mathématiquement.
J'ai fait au départ beaucoup de simulation pour arriver
à trouver. Par exemple, pour les réseaux de
neurones, j'ai trouvé les propriétés,
mathématiquement, des règles d'apprentissage
au niveau supérieur de l'organisation, qui sont déduites
des règles d'apprentissage au niveau des neurones.
Ce n'est pas visible comme ça. Cela permet effectivement
mathématiquement et algorithmiquement, par exemple,
de rendre compte de la coordination des mouvements. Donc
la coordination des mouvements n'est plus un problème
d'équations. Il s'agit simplement maintenant de disposer
de gens pour continuer à développer et de
trouver des applications.
AI
: Essayons de bien comprendre : vous avez au départ
une hypothèse qui vous est fournie par la mathématique
...
Gilbert
Chauvet: Non, c'est par l'expérience,
par les sciences expérimentales. C'est comme en physique
où l'on a des mécanismes et qu'on essaie de
trouver des lois générales, des principes
généraux. Et la question, pour moi, est toujours
: quels peuvent être des principes généraux
communs à la physiologie ?
AI
: Vous partez de l'expérience. A partir de cela,
vous écrivez une formalisation. Une fois que vous
avez ces équations et que vous les appliquez, vous
trouvez d'autres choses qui vous permettent d'affiner la
formalisation ?
Gilbert
Chauvet: Je ne suis pas tout seul à faire
cela. Ce dont vous me parlez-là, c'est de la modélisation
mathématique. Vous savez, il existe quantité
de modèles mathématiques des organes et des
organismes.. Mon travail s'applque à essayer de trouver
un cadre conceptuel, c'est à dire une théorie
permettant d'intégrer ces modèles, mais pas
n'importe comment. Parce que si vous ne prenez pas des systèmes
hiérarchiques, si vous ne mettez pas tout en fonction
du même élément -en ce qui nous concerne
l'interaction fonctionnelle, qui nécessite aussi
deux concepts fondamentaux que sont la non-symétrie
et la non-localité (voir note 6)- , eh bien
vous faites de la modélisation ...binaire, si je
puis dire, qui ne va pas plus loin que la modélisation
d'un organe, avec les hypothèses que cela implique.
Et là, des hypothèses qui sont a-priori.
AI
: Vous estimez avoir une bonne partie de ces concepts intégrateurs.
Quelle est la suite de votre travail ?
Gilbert
Chauvet: C'est l'écriture du système
informatique, permettant de travailler d'une façon
générale. Si, en physique, tout est modélisation,
ce n'est pas du tout évident pour la biologie. Très
peu de biologistes l'utilisent.
La différence essentielle entre la physique
et le biologique, et contrairement à ce que pense
I. Prigogine, c'est qu'on ne peut pas raisonner par analogie
sur l'acquisition de forme pour dire "cela doit se passer
comme cela". Il n'y a pas de commune mesure entre les deux
domaines. Et même si le résultat est apparemment
le même, les mécanisme sont totalement différents.
La question à se poser est alors la suivante : y-a-t-il
ou pas des principes généraux propres
à la biologie... Parce que si l'on prend des principes
généraux de la biologie, ce n'est que de la
physique. Et ce qui différencie la physique de la
biologie, c'est la physiologie. Ce n'est déjà
pas évident pour un biologiste de l'accepter, que
ce soit au niveau de la cellule ou au niveau du gène,
car la dynamique du gène existe. C'est pour cela
que tant que l'on n'aura pas les mécanismes qui nous
donnent, au moins du point de vue expérimental, comment
les transpositions ont lieu en fonction du temps, on
ne pourra établir la dynamique du gène. Mais
cela existe.
Mais la grande différence, du point de vue utilisation, entre
la physique et la biologie, c'est qu'à chaque fois
qu'un physicien travaille sur quelque chose, il apporte
une pierre à l'édifice car tous utilisent
le même cadre conceptuel. C'est un monument qui grandit.
En biologie, cela ne se passe pas du tout de cette façon.
La modélisation n'y avance pas vraiment, et cela
depuis plus de 30 ans, parce que chacun fait son modèle
avec des valeurs de paramètres différentes,
et avec une hypothèse supplémentaire, qui
aurait dû être vue si on avait eu un cadre conceptuel
commun. Il n'y a rien de commun entre tous les biologistes,
sauf probablement entre les expérimentalistes...
mais ce ne sont que des expériences...
AI
: Comment verriez-vous ce cadre commun pour les biologistes
?
Gilbert
Chauvet: De mon
point de vue, il ne peut être qu'informatique. C'est
tellement compliqué qu'on ne pourra faire autrement
que d'utiliser un système informatique réel.
Et c'est ce qu'on essaie de réaliser en ce moment.
AI
: Pouvez-vous préciser...
Gilbert
Chauvet: On décrit d'abord l'organisation
fonctionnelle à partir des interrelations. On met
cela dans la machine. La dynamique du système est
déterminée ensuite automatiquement par la
machine. Parce que l'on a un formalisme général.
Il me faudrait ici entrer dans le détail, mais sachez
que chaque opérateur dans les équations du
champ est un modèle spécifique qui existe
déjà. Donc, il s'agit simplement là,
si je puis dire, d'une adaptation. Mais cela demande de
disposer de gens qui étudient ce problème
en fonction de la théorie existante. C'est comme
si, par exemple, vous essayiez de faire de la physique sans
connaître la mécanique quantique. Il faut un
cadre conceptuel commun. Et comme il ne pourra pas être
utilisé par les biologistes purs et durs, du moins
au début, c'est à dire que tant que l'éducation
ne serait pas faite, ce qui à mon avis demandera
une dizaine d'années, nous serons obligés
de passer par un système informatique, de telle sorte
que les gens n'auront pas tellement à se poser de
questions. Je parle ici de la finalisation industrielle,
c'est-à-dire avec un programme informatique
qui ne se plante jamais... Ce sont des choses compliquées,
qui devront être maintenues en permanence avec de
grosses équipes...
AI
: C'est cela l'objectif dont vous nous parliez...
Gilbert
Chauvet: Oui. Si les biologistes avaient cet
outil, celui qui travaille par exemple sur les canaux, sur
leur structure, n'aurait plus qu'à appuyer sur un
bouton pour voir ce qui se passe au niveau de l'activité
de ces canaux. Et cela changerait tout. Et puis, il pourrait
avoir tous les niveaux intermédiaires....
AI
: Revenons à la partie informatique de votre projet.
Comment allez-vous procéder ? Classiquement, en réalisant
un cahier des charges ? Quels outils utiliserez-vous
?
Gilbert
Chauvet : Il s'agit d'analyse numérique,
de la programmation des équations mais avec un accès
automatique aux données. En d'autres termes, de l'inter-relation
entre modèles, c'est-à-dire des entrées,
des sorties. Ce sont des équations à résoudre.
Seulement, passer d'un système d'interaction fonctionnelle
-ou d'un graphe mathématique - suppose une interprétation
physiologique...
AI
: Mais les outils informatique pour cela existent
déjà... Vous n'allez pas les réinventer
?
Gilbert
Chauvet : Oui, tout existe. Enfin ils sont plus
ou moins sophistiqués. J'ai travaillé en Fortran,
après je suis passé en Pascal, puis il a fallu
tout transformer en C++ , puis maintenant réécrire
tout en Java. Chaque fois, il faut avoir des gens avec soi,
ce n'est pas possible. Je travaille avec un excellent mathématicien
et qui programme très vite et très bien. Le
problème n'est pas là. L'idéal serait
que la même personne fasse tout, moi en l'occurrence,
mais ce n'est pas possible. Donc, lorsque l'on se met à
deux, il faut que le deuxième puisse comprendre ce
que je veux faire, comprendre l'interprétation des
équations, connaître les lois et la théorie...
AI
: Votre approche est totalement matérialiste...
Vous n'y mettez pas une pulsion créatrice, déiste
?
Gilbert
Chauvet : Non, mais
on pourrait parler d'intelligibilité mathématique.
Pourquoi les mathématiques rendent compte de tout
cela ?
AI
: Les mathématiques au sens des mathématiques
archaïques...
Gilbert
Chauvet : Non. La
question est "pourquoi y-a-t-il une interaction fonctionnelle
entre telle unité et telle autre ? Personne ne s'est
posé la question En fait, cela revient uniquement
à un problème de stabilité mathématique.
Disons que si ce n'était pas stable, cela n'existerait
pas...
AI
: En vous écoutant, on se demande pourquoi vous n'êtes
pas plus connu...
Gilbert
Chauvet : La raison vient peut-être du
fait qu'il est difficile de comprendre mes travaux, nécessitant
pour cela une très solide formation en mathématiques,
en physique et en biologie...
J'assistais récemment
à une thèse sur le métabolisme phospho-calcique.
L'étudiant avait passé quatre ans sur la résolution
d'un système d'équations aux dérivés
partielles, pour un jeu de paramètres. Je lui ai
fait remarquer qu'il fallait rajouter un terme dans son
équation, qui manifestement manquait, dans l'interprétation
physiologique. Et cela mettait finalement en l'air toute
sa thèse. Vous voyez ce que je veux dire. C'est-à-dire
que si il y avait eu un cadre conceptuel comme celui que
je propose, et si il l'avait utilisé, cet étudiant
aurait vu que supprimer une interaction entraînait
forcément des problèmes. Alors, plutôt
que de passer quatre ans à résoudre son système,
ce qui n'apporte finalement rien du tout puisque cela ne
prend en compte qu'un seul jeu de paramètre, il aurait
mieux fait, par exemple, de déterminer l'organisation
fonctionnelle de son système. Mais pour cela, encore
fallait-il avoir de solides notions en biologie... C'est
toute une éducation.
AI
: Vous travaillez aussi aux Etats-Unis. Y Trouvez-vous une
meilleure réceptivité du milieu scientifique
?
Gilbert
Chauvet : Oui, sans aucun doute.
AI
: Alors pourquoi, et c'est tout à votre honneur,
ne vous-être vous pas établi outre atlantique
?
Gilbert
Chauvet : C'est un peu le même problème
qu'en France. C'est-à-dire que pour arriver à
quelque chose, soit vous vous lancez et puis vous passez
progressivement de la science à la politique - il
n'y a plus de science, il y a de la politique scientifique.
Ou bien vous avez une idée fixe et vous persévérez
sur vos travaux. Mais à ce moment là, vous
risquez d'être complètement marginalisé.
Et dès lors, comment créer un réseau
lorsque vous n'avez rien à montrer?
AI
: On manque drastiquement aujourd'hui d'outils pour la gouvernance.
Nous sommes face à un chaos et subissons les événements
au coup par coup. Pourrait-on dire que votre projet fournirait
parallèlement, ou ultérieurement, les outils
mathématiques conceptuels pour les gouvernements
des sociétés, afin que les sociétés
ne soient pas des systèmes automatiques fonctionnant
sur le monde biologique darwinien, sans possibilité
de contrôle ?
Gilbert
Chauvet : Je ne suis pas expert dans le domaine
des sciences humaines. J'hésite toujours à
étendre... Les sciences humaines ne sont pas des
sciences exactes. Moi, ce que j'essaie de faire, c'est une
science exacte de la biologie.
AI
: Il faudrait qu'elle le devienne
Gilbert Chauvet : Elle
ne peut le devenir qu'avec des outils conceptuels à
sa disposition,. Elle ne peut le devenir uniquement avec
des expériences. Des théories naissent, un
cadre conceptuel existe. J'ai fait en sorte que cela s'applique
en biologie. Est-ce que cela peut s'appliquer en sociologie
? Oui, sûrement du point de vue des interactions.
Mais le potentiel d'organisation fonctionnel, ou des choses
comme cela, sont déduits des propriétés
du vivant. Ce n'est sûrement pas adapté aux
sciences humaines. Peut-être cela peut être
adaptable, mais en tous cas sous une autre forme. Peut-être
que l'idée est bonne...
AI
: Vous pourriez intéresser les gens qui se posent
ce genre de questions. Peut-être devriez-vous vulgariser
vos travaux. Vous nous dites finalement que ce qui différencie
la biologie de la physiologie, c'est que la physiologie
s'attaque aux fonctions. Mais qui le sait ?
Gilbert Chauvet :
C'est vrai que l'on m'a déjà posé
la question, durant un exposé s'adressant à
un auditoire intéressé par la biologie théorique
: "excusez-moi, mais qu'est ce que la physiologie ?"
AI
: Puisque vous nous dites que les scientifiques ont déjà
du mal à comprendre, comment voulez-vous intéresser
les journalistes ?
Gilbert
Chauvet : Je travaille
en ce moment sur l'écriture de deux petits livres.
Un, plus concis que La vie dans la matière,
et un autre qui ferat la synthèse de tous mes travaux.
(1)
Voir notre note de lecture du livre de Gilbert Chauvet : "La
vie dans la matière, le rôle de l'espace en biologie"
http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2001/aout/g_chauvet.html
(2)
Cf : http://www.worldscinet.com/jin/jin.shtml
(3)
Cf : http://www.automatesintelligents.com/interviews/2001/oct/guillot_meyer.html
(4)
Organisation des fonctions biologique
d'un Système Formel (O-SBF)
Pour Gilbert Chauvet l'interaction
fonctionnelle constitue la base du phénomène
biologique. Cette interaction, être mathématiquement
abstrait représentant aussi bien un potentiel électrique,
une concentration moléculaire, un niveau de saturation,
ou n'importe quel paramètre biologique, introduit 3
éléments : la source, le puits , et la transformation
à l'intérieur du puits. L'interaction possède
aussi au moins deux propriétés : la non-symétrie
(source-puits) et la non localité.
S'agissant de la combinatoire des interactions fonctionnelles,
l'ensemble des sources, des puits, et de leurs interactions
peuvent, selon Gilbert Chauvet, être représentées
-pour un système biologique formel- par un graphe
mathématiques (voir figure).
La source et le puits sont deux points sur cette figure, l'interaction
est un arc orienté entre ces deux points. Le sens de
la flèche indique quelle est la source, quelle est
le puits. En généralisant à un nombre
quelconque de sources et de puis, on obtient un ensemble de
sommets reliés par des arcs orientés, et munis
de propriétés mathématiques. Les sommets
sont appelés "unités structurales" et leur nombre
"degré d'organisation". Un tel graphe (graphe
O-SBF) représente la topologie du système biologique
(organisation fonctionnelle de l'organisme).
L'étude de ce système et ses propriétés
topologiques ne constitue que l'un des aspects du travail,
car il s'agit aussi de déterminer la dynamique du système
biologique formel (D-SBF). En d'autres termes, représenter
l'action spatio-temporelle d'une unité de structure
sur une autre, c'est-à-dire déterminer l'évolution,
dans le temps et dans l'espace du produit qui, émis
par la source, va agir à distance sur le puits (la
géométrie du système biologique est implicitement
incluse dans cette représentation). L'action à
distance du signal est décrite par l'évolution
spatio-temporelle du champ : sa valeur en un point-puits résulte
de l'action d'un opérateur de champ au point-source
où le signal a été émis.

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