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Courrier envoyé
au mensuel La Recherche,
à la suite de sa publication en juin 2004 de l'article
"Où va la biologie" d'Evelyn Fox Keller
(courrier publié dans le n° 378 de septembre 2004)
Publié récemment, l'article
d'Evelyn Fox Keller (La Recherche, juin 2004, n° 376,
p.30) appelle quelques remarques. Tout se passe en effet comme
si les biologistes, ne voyant jusqu'à maintenant la
biologie qu'à partir du génome, ignoraient les
travaux réalisés par certains théoriciens
de la biologie, d'ailleurs nombreux.. Je pense par exemple
à Rashevsky dans les années cinquante, Delattre
et Murray plus récemment, et moi-même dans ce
domaine de la biologie intégrative. Alors pourquoi
un tel aveuglement ? Pourquoi une telle ignorance de travaux
qui auraient dû depuis longtemps susciter un intérêt
chez les biologistes ? La question mérite d'être
posée.
S'agit-il d'une "croyance" du genre ("les
systèmes biologiques sont trop complexes pour être
décrits mathématiquement "), ou plus
simplement d'une négligence ? Voilà désormais
le vrai problème : la biologie est-elle de nature mathématique
ou de nature informatique ? Expliquons-nous. Pouvons-nous
fonder la "reconstruction" d'un système biologique
sur des principes mathématiques ? En déduire
mathématiquement des propriétés nouvelles
? Expliquer la biologie à partir d'algorithmes et d'objets
informatiques ? Remarquons d'abord que la première
attitude entraîne la seconde mais que l'inverse n'est
pas vrai. Si nous pouvons réduire les mathématiques
à un système formel manipulé par un ordinateur,
la création et l'intuition en sont absentes. François
Rechenmann rappelle fort heureusement les efforts de ces biologistes
mathématiciens modélisateurs. Je voudrais simplement
ajouter que, là encore, il existe une différence
énorme entre réaliser un modèle mathématique
d'un système biologique et découvrir une théorie
permettant d'intégrer de tels modèles. Cette
différence est de nature épistémologique.
Beaucoup plus grave est la différence culturelle entre
les attitudes du biomathématicien et du bio-informaticien.
La tendance actuelle est le tout-informatique, ce qui s'explique
facilement par le contraste entre la pléthore d'informaticiens,
le manque de mathématiciens, et l'absence totale de
mathématiciens-physiciens-biologistes. Si on ajoute
à cela l'aspect ludique de l'informatique, alors on
comprend le désastre vers lequel nous courons.
Car la biologie est d'abord de nature physique, c'est évident.
Les systèmes biologiques sont fondés sur les
lois de la physique, et il faut en tenir compte. Autrement
dit, il faut que la modélisation satisfasse aux lois
de la physique. Je regrette d'avoir à dire que la voie
actuellement empruntée conduit à une impasse.
Mais la science est démocratique et conservative. L'engouement
pour la bio-informatique (au sens de l'informatique pure)
provient du nombre d'informaticiens qui peuvent la pratiquer
sans mathématiques, voire sans connaître la biologie
et la physiologie. Ce ne sont pas les bases de données
génétiques ou protéomiques qui contiendront
les lois de la biologie. Les lois de la biologie sont des
lois entre processus. Si les bases de données et autres
techniques informatiques sont nécessaires, elles ne
sont pas suffisantes
.
Gilbert
Chauvet
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